Les trois coups
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Pour rien au monde je n’aurais manqué une adaptation de roman russe qui promettait d’être aussi spectaculaire. En effet, Joe Wright, après avoir réalisé Orgueil et Préjugés et Reviens-moi, replonge avec Keira Knightley et cette fois-ci s’attaque à un monument de la littérature russe, que dis-je, de la littérature tout court : Anna Karénine.
Par où commencer ? Peut-être par vous dire qu’on n’a pas lésiné sur les moyens pour ce film (peut-être avez-vous vu ces gigantesques et féériques affiches dans le métro ? Elles donnent un bon aperçu !). Les décors, les costumes : tout est époustouflant. Mais là où Wright a bon, c’est qu’il fait tout pour éviter le drame historique surfait et moribond vu vu vu et rerevu. Pour ce faire, on offre à ce film une mise en scène audacieuse centrée autour d’un théâtre, de sa scène et de ses coulisses (métaphore de la représentation constante donnée par la haute société de la Russie Impériale a dit Jude Law lui-même dans une interview), surtout au début du film, ce qui donne une agréable sensation de tournoiement fluide des scènes et intrigues qui sont liées à ce même décor par des transitions subtiles. Donc pas d’enchaînement brutal des scènes, pas de monotonie et une certaine part de poésie dans le procédé et le léger vertige qu’il nous donne.
D’ailleurs, parlons-en de la poésie. Sachant qu’en lisant des romans russes, la Russie impériale est devenue pour moi une sorte rêve fantasmé, j’attendais un peu de voir comment Joe Wright allait relever le défi. Je n’ai pas été déçue. La somptuosité, la grâce, la passion et l’élégance russe sont là, sans en faire des tonnes, car l’affaire qui occupe le film n’est pas le contexte – si fascinant qu’il soit, mais bien l’histoire d’amour.
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C’est bien là que j’ai tiqué. Car à la base, le roman de Tolstoï n’est pas une histoire d’amour, mais deux histoires d’amour : Anna et Vronski d’un côté, Lévine et Kitty de l’autre. Bien sûr, ces derniers sont présents dans le film, mais de manière plutôt accessoire par rapport à l’original où les deux histoires se construisent en opposition : la passion destructrice d’aristocrates mondains face à l’amour sain d’aristocrates certes, mais de gens simples avant tout. Une autre réclamation par rapport au roman : le personnage d’Anna dans le film peut donner l’image d’une femme un peu légère, qui n’a pas forcément le souci des conventions même avant qu’elle ne rencontre Vronski, mais dans le livre, Anna est une femme vertueuse et extrêmement maternelle (aspect au final peu présent dans le film), et elle livre une longue bataille contre elle-même avant de céder à ses avances. Bref, on pourrait disserter des heures sur la question, toujours est-il qu’il faut être conscient qu’un long-métrage a ses limites et ne peut décemment pas intégrer les univers propres que sont les romans russes dans leur entier.
Passons aux acteurs. Le casting correspond bien aux exigences des rôles principaux : mention spéciale à Jude Law qui interprète magistralement le mari bafoué qui reste un parangon de droiture dans l’adversité. Keira Knightley, elle, est toujours plus belle dans un rôle que beaucoup ont interprété avant elle (y compris Greta Garbo et Vivienne Leigh, bonjour la pression !) et s’inscrit très bien dans le rôle de l’aristocrate torturée par la passion. L’alchimie de celle-ci avec Aaron Taylor-Johnson est convaincante et leur histoire, qui constitue le cœur du film, devient prenante même pour quelqu’un qui connaît déjà la fin.
En somme tartineurs et tartineuses, nous sommes satisfaits de ce que Joe Wright a fait d’Anna Karénine. Car mis à part les remarques relatives à la relation livre-adaptation filmique et les choix qui en découlent, si on ne prend que le film… Tout cela est sublime !
Caroline Gomot
Anna Karénine
Par Joe Wright
Avec Keira Knightley, Jude Law et Aaron Taylor-Johnson