Le Chagrin
La Pietà de Villeneuve-lès-Avignon, Enguerrand QUARTON
Vers 1455
1.63 x 2,18 m
Musée du Louvre
J’ai longtemps hésité avant de vous présenter cette superbe peinture médiévale. Plus que le thème religieux, c’est le fait de décrypter une œuvre préalablement étudiée en cours qui me dérangeait : Enguerrand Quarton fera finalement figure d’exception, non pas parce que son nom évoque les loisirs créatifs mais parce que sa Pietá me paraît à la fois admirable, novatrice et digne d’intérêt.
L’originalité cette œuvre résulte notamment de la combinaison de diverses influences, caractéristique de la production avignonnaise du XVe siècle : un heureux mélange d’éléments français, italiens et flamands. Cette diversité s’explique en partie car la ville a attiré de nombreux artistes italiens en devenant le siège de la papauté en 1308. Quelques décennies plus tard, des peintres du Nord venaient travailler dans la région et mêler leurs méthodes à celles déjà en place. L’artiste parvient ici à incorporer les différents styles tout en veillant à conserver une harmonie générale.
On remarque rapidement que ce panneau peint s’éloigne des tableaux de dévotion auxquels on peut être habitué, trop idéalisés ou à l’inverse sanglants et pathétiques (au sens propre du terme, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit). La mesure et l’équilibre semblent régner sur la composition : l’éclat de l’or se trouve contrebalancé par des tons bruns mats, les plis savants des vêtements animent un fond sombre et uni, l’archaïsme des auréoles orfévrées adoucit des visages déjà marqués par le deuil et le passage du temps.
Par sa justesse, cette œuvre soulève en chacun de nous un sentiment de compassion, de grande solennité et de respect ; que l’on soit croyant ou non, sa portée est universelle. Bien sûr, l’arc pâle formé par la dépouille du Christ, la douleur muette inscrite sur le visage de la Vierge et le geste délicat de Jean retirant la couronne d’épines sont là pour traduire le chagrin profond et la gravité. Mais ces éléments demeurent naturels et proportionnés : Quarton ne nécessite ni torrent de larmes ni plaies béantes pour atteindre son but, émouvoir le fidèle et susciter sa dévotion.