Gatsby le Magnifique – Round 2, le Roman
A l’occasion de la sortie prochaine de l’adaptation cinématographique du roman Gatsby le Magnifique, JBMT vous a préparé un petit cycle en lien avec l’ouvrage mythique de F. Scott Fitzgerald. Nous avons déjà décrypté la mode au temps de Jay Gatsby ; nous aborderons prochainement le film ayant pour scénariste F. F. Coppola réalisé au début des années 70 avant de terminer par la version de Baz Luhrmann, à dévorer sur grand écran à partir du 15 mai. Mais penchons-nous aujourd’hui aux côtés d’Ariane sur l’ouvrage mythique ainsi que sur son contexte de création.
“And I like large parties. They’re so intimate. At small parties there isn’t any privacy.” – Jordan Baker
« Et j’aime les grandes fêtes. Elles sont si intimes. Aux petites soirées il n’y a aucune intimité. »
Francis Scott Fitzgerald, en rédigeant Gatsby le Magnifique, signe une œuvre résolument romantique. Les critiques l’ont qualifiée à sa sortie de « cinématographique », à savoir qu’ « ouvrir [cet ouvrage] et pousser la porte du cinéma du coin reviendrait à peu près au même ». Les personnages que Fitzgerald dépeint sont en effet bigarrés, leurs attitudes théâtrales, et les différentes situations nimbées d’une sorte de voile de paillettes optimiste qui aurait pu conférer à ce livre le statut d’énième livre de romance lambda, ou encore d’un autre film enrobé dans l’ambiance glamour et jazzy du New York des années folles. Cependant, Tom Buchanan, George Wilson, Jordan Baker, et bien sûr Nick Carraway et Jay Gatsby, tous ces personnages atteignent une profondeur bien supérieure aux clichés en vogue dans les productions hollywoodiennes typiques. Leurs passions, leurs déchirures, leurs défauts et leurs faiblesses irradient d’une véracité qui permet de provoquer chez le lecteur plus qu’une émotion, une empathie. Ces hommes et ces femmes semblent jouer une fable intemporelle qui prend presque des allures de tragédie classique.
Un premier facteur permet à ce livre, malgré son synopsis peu original, de dépasser le stade de roman de gare pour atteindre le stade de chef-d’œuvre : le talent d’écrivain de Fitzgerald. Son acuité face à ses propres personnages et son habileté à exprimer des traits de leur personnalité ainsi que leurs impressions est d’une justesse impressionnante tant elle semble sans effort. La légèreté insouciante et douloureuse de Daisy, le charme primaire et vulgaire de Mrs Wilson, les ambiances d’ivresse irréelle des soirées de West Egg, tout semble d’un réalisme palpable grâce à la plume de l’auteur.
Mais si Gatsby le Magnifique reste son chef-d’œuvre, en lieu et place par exemple de Tendre est la nuit, c’est parce que son scénario parvient à transmettre l’essence de l’identité d’un groupe, celui que Gertrude Stein appelait la Génération perdue. Ce mouvement littéraire, emmené principalement par Hemingway et Fitzgerald, était composé d’auteurs américains exilés dans le Paris des années 20. Ne se reconnaissant pas dans les valeurs des Etats-Unis de l’après-guerre, étrangers en Europe, ces auteurs décrivent leurs errances et leurs désillusions. Comme dans le livre Le soleil se lève aussi d’Hemingway, leurs protagonistes sont en proie à un constant tangage entre jouissance des plaisirs immédiats et une profonde et incurable mélancolie ; alternance aidée par un alcoolisme latent dont les vapeurs constituent le fond de leurs récits.
Dans les œuvres d’Hemingway, ce dernier se concentre sur le désarroi inhérent aux membres de ce groupe, et sur la nostalgie qui accompagne ses héros dans leur quotidien, rendant tous leurs actes vains et absurdes. A l’inverse, Fitzgerald se focalise sur les distractions, les outils dont se servent ces jeunes gens pour se détourner de leur désespoir : les romances, la feinte insouciance, les paillettes, l’alcool, les cigarettes, tout cela ne fait que servir d’écran aux démons qui rongent les personnages. C’est là que se dévoile le génie de ce livre : en mettant en exergue la vacuité et l’impuissance des stratagèmes dont Gatsby s’entoure comme autant de grigris pour maintenir le corps de ses rêves, en décrivant la manière dont ces derniers se délitent et s’écroulent, l’auteur fait bien plus que de nous livrer une œuvre pleine de distrayants ébats amoureux.
Avec une apparente frivolité, il incarne sans concession dans ce personnage et dans ceux qu’il entraine dans sa chute, toute l’impossibilité qu’il y a à concilier ses rêves et ceux des autres, ses envies et sa réalité. Et c’est à la fois pour se distraire de cette lutte intérieure et pour lui laisser le loisir de s’épanouir que Gatsby s’entoure d’un tourbillon de robes charleston, de costumes en flanelle, de champagne et de voitures rutilantes, dans ses immenses orgies qui parviennent paradoxalement si bien à préserver le jardin secret de ses obsessions masochistes.
Ariane