Paul & Man

Les mains libres

En novembre 2012, on commémorait les 60 ans de la mort de Paul Éluard, poète surréaliste, engagé politiquement et poétiquement. C’est l’occasion de vous parler d’un recueil particulièrement important pour l’histoire du surréalisme : il s’agit des Mains libres, par Éluard et Man Ray.

Plus précisément, il s’agit de « Dessins de Man Ray illustrés par les poèmes de Paul Éluard », comme l’indique la page de titre de l’édition originale. Une manière de placer le poète en position d’illustrateur, de brouiller les frontières entre les arts, de faire du langage poétique l’égal du langage pictural, et de former un tout organique qui tient par sa seule puissance évocatrice.

Man Ray photoSi l’on connaît surtout Man Ray pour ses photographies (notamment le fameux « Violon d’Ingres »), très épurées et desquelles se dégagent une forte sensibilité poétique, celui-ci a également produit de nombreux dessins, notamment cette série intitulée « Les Mains libres », non moins poétique, datant de 1937.  La collaboration entre l’artiste et le poète est née avant tout de leur amitié (Éluard et Man Ray fréquentaient les mêmes cercles d’artistes dans le Paris des années 1920), elle-même fondée sur une croyance partagée en la capacité de l’art à transfigurer le réel.

Séparons-les temporairement : les dessins de Man Ray, d’une ligne très sobre, sont à la fois très simples et porteurs de mille autres images non contenues en eux (la fulgurance de l’image passe par un détail, un trait à première vue invisible, mais qui frappe l’esprit presque malgré lui) ; les poèmes d’Éluard, de longueurs variées, mettent en avant des imagines agentes, ces « images frappantes » si chères aux surréalistes : il s’agit de faire surgir, à travers la langue poétique, des associations inédites (les « limpides pudeurs », « l’azur profond comme un tombeau », le « blé fiévreux des morts »…).

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L’un des thèmes principaux ? Sans surprise, la femme. Les dessins de Man Ray (de même que leurs illustrations poétiques) ne sont d’ailleurs pas sans évoquer un poème comme « L’union libre » d’André Breton. La femme, objet artistique, objet poétique, objet de rêverie, de blason et de création est sublimée par la combinaison des deux langages. Par ailleurs, le recueil s’achève sur deux portraits de Sade, « illustrés » là encore par Éluard, suivis d’une série de Portraits (parmi lesquels on reconnaît des hommages à Breton, Nusch, Picasso et Éluard lui-même), et enfin d’une partie intitulée Détails (une bouche, un œil…qui semblent extraits des premiers dessins).

Le surréalisme est pleinement à l’œuvre dans ce recueil : entre écriture (semi) automatique et dessins en forme de cadavres exquis, c’est toute la technique et la liberté d’expression de ce mouvement artistique qui ressort.

Man Ray L'e_vidence

L’Evidence

L’EVIDENCE

 L’homme la plante le jet d’eau
Les flammes calmes certaines bêtes
Et l’impliable oiseau de nuit
Joignent tes yeux
Ils sont debout

Toi tu gardes ton équilibre
Malgré les mains malgré les branches
Malgré la fumée et les ailes
Malgré le désordre et ton lit.


Il s’agit, finalement, d’ « inspirer plus que d’être inspiré », pour reprendre les mots d’Éluard définissant le poète selon lui.

Bonne lecture et découverte !

Lorraine

D’un tirage limité lors de la première édition, il est désormais possible d’en profiter dans une édition Gallimard (nrf) récente (2009).

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