Antoine, le 550ème !
Ca y est, nous sommes 550 sur Facebook ! Alors on ne change pas les bonnes habitudes et on réitère notre « portrait culturel » de lecteur. Aujourd’hui c’est au tour d’Antoine de passer au crible ! Let’s start !
Bonjour Antoine,
Quel est ton livre préféré? Pourquoi lui?
Sans conteste Le Cul de Judas, un roman de l’écrivain portugais Antonio Lobo Antunes que j’ai lu il y a un peu plus d’un an. Le Cul de Judas est un monologue torrentiel ; celui qu’adresse un homme à une inconnue, rencontrée dans un bar à Lisbonne. L’homme relate sa vie de médecin militaire durant la guerre d’indépendance, en Angola. Il lance des souvenirs épars de sa descente aux enfers, dans ce cul de Judas, ou ce« bourbier infâme » en français. La mort, la pourriture, le dégoût de soi, la peur. Il narre l’absurdité de sa guerre: membre d’une troupe de soldats portugais ne combattant presque pas et bloqués dans un baraquement en pleine brousse angolaise.
« Le désir commun de ne pas mourir constituait, vous comprenez, l’unique fraternité possible, je ne veux pas mourir, tu ne veux pas mourir, il ne veut pas mourir, nous ne voulons pas mourir, vous ne voulez pas mourir, ils ne veulent pas mourir.»
Le narrateur évoque aussi son retour au Portugal et la prise de conscience, une fois la guerre perdue. Conscience de la sclérose de la bourgeoisie lusitanienne, unie autour des vertus de la bigoterie, du machisme et de la vulgarité. « Tu as maigri. J’ai toujours espéré que l’armée ferait de toi un homme, mais avec toi, il n’y a rien à faire» lui dit-on dans sa famille. Amertume et révolte envers la dictature qui a trompé son monde ; entraînant une génération à sa perte, à coups de spécieux discours de grandeur. « Cher Docteur Salazar si vous étiez vivant et ici je vous enfilerai une grenade dégoupillée dans le cul, une grenade défensive dégoupillée dans le cul. »
J’adore ce roman avant tout pour le style inimitable de Lobo Antunes. Style qui réussit le tour de force de sublimer les thèmes les plus morbides. En effet, sa prose est dense, flamboyante et incroyablement poétique. Les phrases s’étalent rageusement sans jamais faire place aux poncifs littéraires. Ses figures de style sont lumineuses. L’humour est cruel et la dérision omniprésente. Et durant tout le livre, le narrateur saute d’un souvenir à l’autre avec une facilité déconcertante. Je sais bien que les notions « d’inimitable », de « tour de force » et de « flamboyance » sont souvent galvaudées. Mais faites l’expérience d’ouvrir ce roman. Pour ma part, je n’avais rien lu de semblable et je ne connais pas d’écrivain qui m’impressionne autant que Lobo Antunes.
« Ce que je voudrais, ce n’est pas qu’on me lise, mais qu’on vive le livre. Mon but, c’est de faire en sorte que les mots signifient ces émotions » déclarait-il.
Pari réussi avec moi.
Quel est ton album musical préféré? Pourquoi lui?
Mon album préféré est « Maxinquaye » de l’artiste anglais Tricky. « Maxinquaye » marque le début et le point d’orgue de la carrière solo de Tricky, qui persiste depuis à sortir des albums de plus en plus mauvais; voire même destinés à payer ses loyers. C’est un album sorti en 1995, aux sources du mouvement musical du trip hop, style oscillant constamment entre le rock, le dub, le hip-hop, l’électro et la soul. Tricky enregistre cet album à 20 ans, avec sa copine de l’époque, Martina Topley-Bird. La tension sexuelle entre les deux est palpable du début à la fin. L’album alterne ainsi entre la sensualité franche de Topley-Bird et les murmures insidieux de Tricky.
En point d’orgue : Suffocated Love, que Gainsbourg n’aurait pas renié. Beaucoup d’autres thèmes qui me parlent sont également brassés. On trouve ainsi une reprise rock du contestataire Black Steel in the hour of Chaos de Public Enemy, ainsi que des questionnements sur la folie, le dédoublement, sur les origines. Et au-delà des textes, que dire de la musique ? C’est simplement génial. Une succession de rythmes langoureux et intenses, d’atmosphères viciées et éthérées, de folie et de clairvoyance. C’est le mariage du ciel et de l’enfer, la rencontre des contraires, un moment de musique mystérieux, varié et cohérent, impossible à décrypter.
J’adore tout de A à Z dans cet album. Jetez-vous dessus sans ménagement.
Quel est ton clip préféré? Pourquoi lui?
Glósóli du groupe Islandais Sigur Ros. Ce clip est un moment de beauté et d’énergie pure. Il me donne des frissons à chaque fois que je le regarde. Un excellent remède contre une journée maussade.
Quel est ton film préféré ? Pourquoi lui ?
Un singe en hiver et de très, très loin. J’ai dû le voir une bonne dizaine de fois. Ce film d’Henri Verneuil, sorti en 1962, est un des rares points de contact entre le « cinéma de papa » (avec Lautner, Blier, Ventura, Audiard) et la Nouvelle Vague. Deux monstres sacrés s’y donnent la réplique : Gabin et Belmondo. Ce dernier, en jeune homme à la dérive, est bouleversant. Gabin, en alcoolique repenti, dégage un charisme monumental. Les deux personnages se lient d’une improbable amitié, qui va dégénérer sur fond de tauromachie, d’Espagne, de Yang-Tsé-Kyang et de Nuits de Chine.
Michel Audiard s’est surpassé dans l’écriture des dialogues: encore plus fins et hilarants que d’habitude. Voici la fameuse scène des « princes de la cuite » pour vous faire une idée.
Enfin, ce film n’est pas uniquement une farce de la trempe des Tontons Flingeurs ou des Barbouzes; c’est avant tout une magnifique ode à l’évasion, au voyage et à l’amitié. La scène de fin est sans doute mon moment préféré de cinéma.
Quel est ton musée préféré? Pourquoi lui?
Le musée Gustave Moreau, à Paris. Il prend place dans l’ancienne maison de l’artiste. En fait, Gustave Moreau s’est lui-même attelé à l’édification de son musée sur la fin de sa vie. C’est une « maison-œuvre » assez démente regroupant des milliers de toiles, aquarelles et dessins se mêlant dans une atmosphère mystique. Les murs sont littéralement recouverts d’œuvres. Mention spéciale à Jupiter et Sémélé qui est pour moi une de ses plus belles toiles.
Quel est ton lieu en rapport avec la culture préféré ? Pourquoi lui ?
Si vous avez l’occasion, faites-un tour à Cardiff qui n’est pas uniquement la capitale britannique du « binge drinking » mais aussi une ville de concerts. Vous trouverez notamment, coincé dans une petite rue du centre historique, le Clwb Ifor Bach. Fondé en 1983, le Welsh Club (en version anglaise) était à l’origine destiné à promouvoir l’usage de la langue galloise. Devenu une salle de concerts et une boîte de nuit, il est l’incarnation de ce que Cardiff a à offrir de mieux.
La semaine divers concerts sont programmés. J’y ai vu Art Brut l’année dernière. Moment mémorable avec en guise d’entracte, dix minutes surréalistes pendant lesquelles le chanteur s’est baladé parmi le public, micro en main, narrant sa visite du musée Van Gogh à Amsterdam. La salle dégageait une énergie incroyable. Puis, à partir du Vendredi, c’est la folie. Le Welsh Club mue en boîte de nuit, avec trois étages aux ambiances différentes. Au rez-de-chaussée de la musique que vous entendriez partout. Au premier, de la musique dansante 50-60’s, accompagnée d’épisodes des Looney Toons projetés sur les murs.
Enfin, au dernier étage, rock et électro entêtants. L’ambiance est toujours dantesque. Les gens se foutent bien de savoir ce que les autres peuvent penser d’eux et de leur manière de danser. Ils sont là pour s’amuser, pas pour un défilé de mode.
Quel est ton lieu préféré ? Pourquoi lui ?
La Piazza della Trinità dei Pellegrini avec sa Santa Trinità dei Pellegrini: bâtiment méconnu et somptueux, située dans le cœur de Rome. Je me rappelle encore la fracture de l’œil, en tombant sur cette place minuscule et son église démesurée. Puis des dix minutes à contempler cette façade, à la fois hiératique et complètement exubérante (sisi, c’est possible).
Merci Antoine !