Une autre vision de la mode #2 – Yohji Yamamoto

Yohji Yamamoto est un esthète.

Ce n’est pourtant pas ce qui saute aux yeux lorsque l’on regarde ses créations, qui sont loin d’incarner les canons d’esthétique et d’élégance de la mode occidentale. Le couturier s’attache à établir de nouveaux principes liés au corps et au vêtement, selon quelques notions héritées de son Japon d’origine. Ces principes nous sont étrangers, ce sont l’amour de la contrainte, la subtilité de la beauté, la perfection incomplète, en somme ce qui caractérise chaque chose que crée la nature.

 

Plus proches de l’anti-mode que de la mode, les vêtements griffés Y’s, la marque que crée Yamamoto en 1972 lorsqu’il est encore à Tokyo, sont rapiécés, déguenillés, décousus et reconstruits selon une logique qui nous échappe facilement. Ses «linceuls» sont pourtant empreints de douceur et d’une aura étrange qui enveloppent le corps humain sans lui imposer ses formes. Usant de couleurs fortes et monochromes telles le noir à ses débuts, le rouge puis le blanc plus tard, Yamamoto ne veut pas que le vêtement influence le regard que l’on pose sur celui ou celle qui le porte, et contribue à reconstruire un modèle féminin dominant.

La clé de compréhension de l’univers du couturier pourrait être cette phrase :

«Il n’y a rien de plus ennuyeux qu’un look soigné»

203_xl_AC07755phrase imprimée sur la griffe qu’il possédait avec Rei Kawakubo, alors sa femme, dans les années 80. Ces notions, qui nous paraissent «antiséduisantes », loin du glamour vers lequel glissait alors la mode sous les coups des Galliano, Mugler et Montana entre autres, sont celles que l’on retrouve dans l’idée du périssable, du respect de la nature vouée à disparaître pour renaître, et sont par ailleurs fortement liées au shintoïsme. La cérémonie du thé, qui fait l’éloge de la modestie, de la pureté, de l’harmonie entre celui qui prépare le thé et ses hôtes, pourrait être le point de départ du cheminement du couturier et symboliser l’osmose entre la personnalité qui porte le vêtement et ce dernier.

Bien que semblant aux antipodes de la mode occidentale, longtemps dominée par la Haute Couture parisienne, les créations de Yamamoto reposent sur des principes directement hérités de celle-ci. Des couturiers majeurs du XXe siècle comme Paul Poiret, Madeleine Vionnet ou Christian Dior ont même véritablement inspiré certaines de ses créations.

 

Esthète, féministe, Yohji Yamamoto est sensible à la Haute Couture et à la mode française, tout en lui insufflant une vision nouvelle qui ne pouvait venir que d’ailleurs. Si aujourd’hui le couturier ne fait plus vraiment d’anti-mode, il n’en demeure pas moins que ses créations auront permis à la mode de se renouveler d’une manière aussi inattendue qu’irrémédiable.

Clémentine Marcelli