Une autre vision de la mode #3 – Rei Kawakubo

Lorsqu’elle fait ses débuts à Paris en 1981 avec la griffe Comme Des Garçons, Rei Kawakubo est déjà reconnue au Japon et ses adeptes sont surnommés «corneilles», à cause de leurs tenues noires qui caractérisent les premières créations de cette femme qui ne se définit pas comme une couturière mais comme une artiste.


D’abord très proche de Yamamoto, Kawakubo s’en éloigne peu à peu à cause de son approche radicale et de sa vision de la mode qu’elle n’a jamais trahie. N’ayant pas suivi de formation spécifique en la matière, elle possède une approche tout à fait personnelle et n’a pas d’apriori : cela représente un atout majeur et un moyen de comprendre sa manière de penser la mode. Si ses créations peuvent la faire considérer comme féministe, c’est tout à fait à l’opposé de la façon dont l’aurait fait un Saint Laurent ou un Claude Montana. Elle refuse l’idée du sexy, du glamour, et s’interroge sur les conventions du vêtement occidental, ainsi que l’image du corps, tout en allant plus loin que son confrère Yamamoto.

L’un des principes qui préside à la création de Kawakubo est le genre neutre. Elle crée des pièces que l’on pourrait qualifier d’universelles ou intemporelles, déconstruit et reconstruit les éléments du vêtement : manches, cols, poches et fermetures. Ses créations, parfois sans forme, ou de forme inhabituelle, sont des propositions qui défient le sens commun et permettent à la personne qui les porte d’être elle-même. Le genre neutre vient de la culture japonaise et du kimono, une pièce de tissu rectangulaire à larges manches dont la ceinture, appelée obi, est la seule manière d’indiquer le sexe ou la condition sociale de celui qui le porte, suivant la manière dont elle est nouée.


Kawakubo expérimente, cherche, innove, en utilisant des tissus de haute technologie qui permettent des créations empreintes de légèreté, douceur et grâce. Tout comme Yamamoto, Rei Kawakubo a été marquée par les lignes de la mode occidentale. Ainsi les robes « New Look » de Dior semblent ressurgir, transformées, mutées, comme libérées de la rigidité et de la sophistication qui les caractérisaient. De la tradition japonaise, Kawakubo reprend le kimono mais aussi les robes de papier dont les élégantes de l’époque d’Edo, du XVIIIe au XIXe siècle, se paraient à grands frais. Mettant en scène l’immense fragilité du matériaux, elle lui redonne ses lettres de noblesse en le transformant en vêtement.

Mondialement reconnue, Rei Kawakubo n’en a pas moins conservé sa veine d’artiste au service d’une mode qui transcende la définition même de la Mode. Elle conçoit ses créations comme un ensemble, ses magasins ayant souvent un design épuré et seulement très peu de pièces à présenter.

Clémentine Marcelli