Les interviews-carrières : Fred, « chargé de projet artistique »
Nouveau domaine pour les portraits culturels de JBMT, la musique ! Au travers de notre rencontre avec Fred, vous allez pouvoir découvrir les dessous du métier de « chargé de projet artistique » mais également la face cachée des maisons de disques. L’honnêteté est ici de rigueur et vous permettra, peut-être, de remettre en cause vos a priori sur le sujet…
Bonjour Fred,
Peux-tu nous expliquer rapidement quel a été ton parcours ?
Ma formation n’a pas grand-chose à voir avec mon métier : j’ai fait Sciences Po à Lille pendant cinq ans avec un master de journalisme à la fin. J’ai bifurqué sur la musique tout de suite après, dès mon stage de fin d’études ; j’ai fait trois stages et un CDD avant de décrocher mon CDI. Ça a l’air long comme ça, mais je n’ai pas trop galéré par rapport à beaucoup de gens dans la musique.
Et tu n’as pas eu à suivre de formation spécialisée par la suite ?
Non, il existe de toute façon peu de formations spécialisées en musique à part celles d’Issoudun. On retrouve surtout dans le milieu des gens d’écoles de commerce, de marketing, de communication… globalement ça reste quand même un domaine où l’on parvient après des études longues.
Quel est l’intitulé exact de ton job et en quoi consiste-t-il?
L’intitulé de mon job, « chargé de projet artistique », est en fait un mix entre chargé de production et chef de projet.
Pour expliquer rapidement, le chargé de production gère la partie administrative des enregistrements. Il est rattaché au département artistique qui signe les nouveaux artistes et s’occupe de l’enregistrement jusqu’à la livraison du master. Donc le chargé de production va booker des musiciens, payer leur cachet, réserver des studios, louer du matériel…
Le chef de projet s’occupe lui de la partie marketing : il se charge de la deuxième étape de conception d’un album (visuels, clips, photos, stratégie générale de promotion et de vente…). Il gère un portefeuille d’artistes et va prendre avec eux toutes les décisions sur la stratégie de vente et les choix artistiques à adopter.
Moi, en tant que chargé de projet artistique, j’étais censé faire un peu des deux. Mais étant donné que dans le label où je travaille on a essentiellement des contrats qui font que l’artiste gère seul la partie artistique, je m’occupe finalement plus de l’aspect marketing.
Selon toi, quelles sont les qualités à avoir pour faire ton métier ?
Pour travailler dans la musique en général, je pense que la première qualité requise est la curiosité. Ça peut paraître un peu bateau, mais il faut être constamment ouvert à la nouveauté puisque c’est un milieu qui évolue en permanence et qu’il vaut mieux être en amont des tendances, pour savoir ce qui va marcher et non ce qui est en train de marcher. C’est valable pour tous les postes, même si bien sûr, à la compta ou au juridique, ce n’est pas essentiel… Pour ce qui est du domaine du marketing, il faut être à l’affût de ce qui se fait sur le plan musical mais aussi des nouvelles techniques de communication, clips, photographes… Après, un peu de créativité permet d’apporter une plus-value à son job plutôt que de rester simple exécutant.
Et puis, comme partout, il faut de la rigueur et de l’organisation, puisque les effectifs se réduisent et qu’on a de plus en plus de travail. Un peu de sens de la diplomatie n’est pas à négliger non plus, puisque tu travailles beaucoup avec de l’humain.
As-tu déjà dû mettre de côté tes goûts et convictions pour ton job ? Comment le vis-tu ?
J’ai déjà dû le faire oui, mais est-ce que ça m’a dérangé… non. Quand je travaillais chez Warner, j’avais des projets que l’on peut juger un peu « commerciaux » (Christophe Maé, Shy’m, BB Brunes…). Au début je n’étais pas ravi de devoir travailler sur des projets qui ne me transportaient pas, mais en fait je me suis vite rendu compte que tous les gens autour de moi se démenaient pour leurs artistes, quels qu’ils soient.
Et surtout, il faut savoir qu’après avoir rencontré plusieurs fois l’artiste, que tu as discuté avec lui, que tu sais qu’il est cool, humble, conscient de ne pas faire de la musique incroyable tout en le faisant honnêtement, tu n’as pas envie de le bâcher. Tu comprends les logiques de la chose, c’est aussi un talent de faire de la musique qui peut passer en radio et qui peut se vendre. Si c’était si facile, on serait tous riches ! Après, bien sûr qu’aujourd’hui je trouve ça plus sympa de travailler sur des projets qui me plaisent (Stromae, Kavinsky, C2C…), mais, pour parler au nom des gens qui sont depuis des années sur des projets qui renient un peu leurs convictions artistiques, je dirais que déjà tu le fais par conscience professionnelle, et ensuite par respect pour les artistes que tu ne vas pas traiter n’importe comment sous prétexte que tu n’aimes pas ce qu’ils font. La plupart des personnes qui travaillent sur des projets « commerciaux » ont une super culture musicale et savent très bien ce qu’ils vendent : ils ne croient pas qu’ils sont en train de faire du Leonard Cohen quand ils vendent du M Pokora !
Quelle est la partie que tu détestes dans ton job ?
Il n’y a rien que je déteste ; après, la partie administrative n’est jamais très drôle. Booker des billets de train, des hôtels, faire des bons de commande, ce n’est pas vraiment épanouissant… mais il faut le faire, et correctement !
Est-ce que ton travail fait que tu as moins de plaisir à écouter de la musique de ton côté ?
Non. En fait on en écoute tous, tout le temps, mais pour le plaisir. Il y a de la musique du début à la fin de la journée dans les bureaux, et dans 80% des cas ce ne sont pas des artistes signés chez nous. Donc si on le fait, c’est bien par envie et non par obligation !
Financièrement parlant, est-ce c’est un bon milieu, et stable ?
Une chose est sûre, c’est qu’il ne faut plus faire ce métier-là pour l’argent ! C’est l’avantage de la crise du disque : elle a chassé tous les parasites qui étaient là pour le côté paillettes et l’argent. Il y a encore quelques personnes très bien payées, à des hautes responsabilités, mais la plupart des gens commencent entre le SMIC et 2000€/mois puis stagnent assez longtemps avant de monter dans les échelons.
Pour ce qui est de la stabilité, ce n’est pas facile d’obtenir un CDI, donc il est quasi impossible de travailler dans ce milieu sans avoir le soutien de ses parents les premières années (puisque tu es censé faire tellement de stages sous-payés que tu ne peux pas vivre à Paris par tes propres moyens). Ça élimine d’entrée toute une partie de la population, ce qui est tout de même problématique…
Est-ce que tu trouves que ce métier est un bon compromis pour les passionnés de musique qui cherchent un emploi sûr à côté ?
Non, pas vraiment. Si tu fais de la musique simplement en amateur à côté, il n’y a pas de souci, beaucoup de gens font ça. Mais ce n’est pas une bonne idée si tu te rabats sur ce métier par défaut : tu vas forcément développer des jalousies, peut-être à certains moments déraper et essayer de te servir de ton job pour lancer ta carrière… Ce sera difficile de te mettre complètement au service d’autres artistes si tu le fais juste parce que tu ne peux pas être à leur place.
Les maisons de disques ont une réputation assez mauvaise, de « rapaces » menaçant les artistes ; comment vis-tu avec cette vision ? Trouves-tu qu’elle soit justifiée ?
Le côté « rapace » s’explique parce que l’on reproche aux labels de créer des artistes de toute pièce uniquement pour vendre, sans considération artistique. Ça existe, c’est évident, mais il n’y a pas que ça, et de loin ! Aucun directeur artistique ne forcera un artiste à faire du commercial s’il a sous le coude de quoi faire un album brillant qui va révolutionner la musique ! Et ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’un chanteur « commercial » qui va vendre 500.000 albums va permettre de financer tous les « petits » artistes qui ne vendent pas un CD. Aussi, même dans un label où il y a beaucoup de projets « commerciaux », l’équipe se défonce toute la journée jusqu’à pas d’heure pour ses artistes. Le cynisme existe certainement, mais il est extrêmement minime dans la masse générale de l’industrie du disque. En bref, je pense que cette réputation a pu correspondre à une certaine vérité mais que, de nos jours, elle est assez injuste (même si, bien sûr, je ne suis pas le plus objectif pour en parler).
Il faut quand même voir que la plupart des jeunes artistes qui se revendiquent super indépendants finissent par signer au bout de quelques mois – et pas seulement pour l’avance qu’on leur propose, mais surtout parce que l’on possède un savoir-faire qu’ils n’ont pas : ça ne suffit pas d’avoir du talent et de bonnes idées pour faire un bon album. Les maisons de disque ne sont pas que des banques, elles sont remplies de gens qui ont des années de métier et savent ce dont ils parlent. Dans ma boite, on a beaucoup d’artistes plutôt étiquetés « indépendants », qui tiennent beaucoup à leur liberté artistique, mais qui nous font confiance et nous demandent conseil.
Comment a évolué l’industrie depuis la crise du disque ?
On a tendance à dire que les majors ont bien mérité la crise du disque, étant donné qu’elles se sont « gavées » pendant des années (notamment les années 90). Seulement le coût de production d’un album ou d’un clip n’a pas baissé, donc la baisse de budget se fait au détriment des moyens que l’on peut mettre à disposition des artistes et du nombre d’artistes que l’on peut signer – donc de la diversité artistique que l’on peut proposer. Maintenant qu’il n’y a plus d’argent, on a besoin de rentabilisation immédiate et on ne peut plus développer de stratégie à long terme sur 2 ou 3 albums ; on ne peut par conséquent pas penser que la crise de l’industrie du disque soit un mal pour un bien.
Le fait que ça ait chassé quelques parasites des maisons de disques est finalement un bénéfice minime par rapport à l’impact négatif que ça a sur les budgets, qui sont en baisse permanente depuis dix ou quinze ans, et qui permettent de faire beaucoup moins de choses, beaucoup moins bien. Après, ça n’empêche pas qu’il y ait encore des gens capables de faire des trucs géniaux avec trois bouts de ficelle !
Merci Fred !