« Le Mépris », Alberto Moravia

On connaît avant tout Le Mépris pour son adaptation par Jean-Luc Godard, et notamment la scène qui en est tirée, montrant Brigitte Bardot lézardant en tenue d’Eve au sommet d’une superbe villa en bord de falaise à Capri.

Seulement, avant d’être un vaudeville méditerranéen interprété par les mythiques BB et Michel Piccoli, Le Mépris est l’un des romans les plus célèbres d’Alberto Moravia. Plus que sur le film ici, nous nous baserons sur ce livre, ayant peut-être moins de charme et d’esthétique que la version cinématographique, mais certainement plus de profondeur.

L’intrigue est brève : la dislocation d’un jeune et très modeste couple marié. Elle (Emilia), d’une nature simple, pragmatique, très terrestre, ne semble rien attendre de la vie qu’un foyer et un époux présent. Lui (Ricardo), en attendant de pouvoir s’établir en tant que dramaturge renommé, enchaîne les rédactions de scénarios afin de fournir à sa femme un certain confort matériel, au détriment de ses ambitions artistiques.

Malgré leurs différences, ce binôme semble fonctionner à merveille : il l’aime passionnément et ferait tout pour la rendre heureuse, tandis qu’elle l’attend, le choie, mais surtout l’estime. C’est la perte progressive de cette estime, inexpliquée, inexplicable, inattendue et même peut-être injuste qui va entraîner Ricardo dans une longue descente au pays d’Hadès.

Car ce douloureux cheminement vers l’abandon se fait en parallèle l’Odyssée, scénario que doit rédiger Ricardo avec l’aide d’un  metteur en scène allemand froid et freudien (allitération en « fr »). Cette référence, qui passe pour une évocation anecdotique dans l’adaptation de Godard, revêt en fait une véritable importance : au fil des relectures, des échanges et des réflexions sur cette « Bible de la Méditerranée », protagonistes comme lecteurs établissent des parallèles avec ce couple, et se demandent si Ulysse et Pénélope sont bien ceux qu’ils croyaient.

Louise Deglin

Le Mépris, Alberto Moravia (1954)
Publié chez Flammarion, environ 6€