Le Nu, entre image de l’Homme et vision du monde
Depuis le 24 septembre, Orsay expose le corps masculin à travers ses représentations, de 1800 à nos jours. Pari ambitieux (à nouveau) pour le musée, puisque le thème n’a jusqu’à présent été traité qu’une seule fois par l’institution muséale, au Leopold Museum de Vienne l’an passé. Pourtant, la thématique, aussi dérangeante soit-elle, s’intègre aussi bien dans une problématique sociale et politique contemporaine que dans un souci d’explorer les fondements de l’art et de la représentation, à l’heure où tous semblent avoir disparu.
Devant la réception mitigée de cet évènement par la presse critique (à laquelle je n’avais pas eu accès avant d’aller l’explorer moi-même), je vous propose de considérer le projet du musée d’Orsay et de ses cinq commissaires : traduire l’évolution du nu masculin dans l’art jusqu’à nos jours, et ainsi, considérer notre rapport aux enseignements académiques, fondateurs de la pratique plastique, leur influence toujours présente dans l’art actuel. Un état des lieux rétrospectif, nécessaire à l’inscription de l’art contemporain dans l’Histoire de l’art.
En effet, le Nu masculin (plus que le nu féminin d’ailleurs) a longtemps été un objet d’apprentissage académique, ébranlé par la modernité. Elle renouvela l’image de ce même corps, et à travers lui, la vision de l’Homme par l’art. Non pas proprement chronologique, ce parcours semble traduire néanmoins un cheminement, à travers six thématiques conductrices : « L’idéal classique », « Le nu héroïque », « Nuda veritas », « In der natur », « Dans la douleur », et « L’objet du désir ».
Si l’art contemporain, avec sa vision globale de l’art et de son histoire, parvient à s’intégrer dans chacune de ces thématiques, comme le montrent de nombreuses œuvres de Pierre et Gilles sillonnant le parcours, cette variation thématique correspondant également à une avancée jusqu’à nos jours. Le XIXe siècle, inauguré par le Néo-classicisme et son corps divinisé, fut jalonné tour à tour par le Romantisme et ses héros modernes, le Réalisme, le Naturalisme, le Symbolisme puis l’Expressionnisme, dont les thématiques de la mort et de l’amour, Eros et Thanatos, correspondent aux derniers chapitres de cette exposition. Ce nu, d’abord divin et céleste, devient avec la modernité humain et terrestre, traversé par les passions humaines, parfois animales. De l’image de l’Homme à celle DES hommes, la représentation du nu masculin semble être partie en déchéance. Cette trivialisation, cette reconnaissance de la dimension sensible de l’homme au tournant moderne, n’en reste pas moins intelligible et riche de sens, qu’elle soit symbolique ou tautologique comme chez Ron Mueck et sa sculpture Dead dad.
Riche, intelligente, et d’une didactique simple, cette exposition propose un regard global. La mise en relation du contemporain aux pièces plus anciennes, qui peut paraître au premier abord anachronique et facile, traduit cependant un projet ambitieux : montrer le lien toujours possible d’une époque à l’autre de l’histoire de l’art. Cette continuité cohérente est d’autant plus remarquable que l’exposition mobilise des œuvres majeures, essentiellement picturales mais pas seulement. Et si, malgré tout, la thématique ne saurait vous séduire, les dessins de Schiele, les photos de Dieter Appelt, les toiles de Bacon ou de Moreau, et les nombreuses œuvres contemporaines tout droit issues des galeries parisiennes sauront vous convaincre de l’un des intérêts de cette visite.
« La nudité est inconvenante, celle de l’âme comme celle du corps »
Francis Bacon
Anaïs
Masculin / Masculin, L’homme nu dans l’art de 1800 à nos jours
24 septembre 2013 – 2 janvier 2014
Musée d’Orsay