Dans [Milly] la Forêt
Une douleur glaciale qui s’élance.
Le réveil est programmé très tôt, il fait froid. Prendre le métro, puis le RER D direction Malesherbes, s’arrêter à Maisse (et pas Metz). Marcher cinq minutes, tendre le pouce en espérant qu’une voiture s’arrête pour vous emmener là où Cocteau a terminé sa vie. Vous avez le choix de commencer par le Cyclop de Tinguely, ou vous pouvez très bien le garder pour la fin, vous incruster dans la dernière visite guidée et découvrir d’abord Jean – l’oiseleur -, puis Jean – le mari de Niki –, chrono-logiquement.
La forêt soudain qui frémit.
CHAPELLE SAINT-BLAISE-DES-SIMPLES
Puis s’installe le silence.
Après s’être posé à Milly-la-Forêt en 1945, trop vieux pour Paris ou même pour consommer son amour avec Edouard Dermit, mais suffisamment lucide pour faire de ses dernières années une période de création aussi intense que ses débuts, Jean Cocteau est sollicité pour décorer la chapelle médiévale de Saint-Blaise-des-Simples.
Ce qui frappe à l’approche du lieu, c’est le silence. On imagine ce qui a pu retenir le maître à cet endroit, comment il a pu être inspiré par un lieu aux antipodes du Palais Royal où il avait pris ses quartiers avec Colette.
Les simples, ce sont des plantes médicinales. Elles sont aujourd’hui encore cultivées dans le petit jardin qui entoure la chapelle, et même vendues dans les herboristeries de Milly. Et Blaise, un saint guérisseur, évidemment. Mon ami et moi attendons l’arrivée de la gardienne du lieu, notre réveil était programmé trop tôt ; et pendant ce temps-là on se relit la Difficulté d’être, satisfaits, impatients : en plein pèlerinage.
On règle l’entrée, billet couplé avec la Maison J. C., c’est bien on comptait y aller aussi. On passe les produits dérivés qui nous émerveillent puis me dégoûtent, et on pénètre enfin dans l’enceinte sacrée.
Dans la petite église, il se passe un drôle de happening, chaque jour sans interruption : la voix de Jean Marais tourne en boucle pour décrire l’œuvre qu’a laissée son défunt compagnon. Cocteau a tout fait ou presque, des candélabres (fourches de paysans re-tournées et dé-tournées de leur fonction première) aux fresques, en passant par les vitraux. Il a utilisé la couleur, chose rare dans son travail de la ligne, pour représenter des plantes monumentales, un Christ à la couronne d’épines, une Résurrection, un chat.
Mais le plus impressionnant, c’est la tombe au centre qui contient les corps du couple Dermit-Cocteau. Elle confère à l’ensemble une grande force émotionnelle. La mystique qui se dégage, mon corps qui frissonne, le fantasme de l’artiste venant tout juste d’achever ses peintures pour aller se reposer sous la terre. Puis doucement s’écroule. Je ne m’attendais pas à ça, et vous devez vous y rendre pour le ressentir ; les photos ne suffisent pas, si belles soient-elles.
La forêt de nouveau frémit.
MAISON JEAN COCTEAU
Je ne me laisse pas suffisamment de lignes pour vous décrire tous les trésors que renferme la maison, mais assez pour vous donner envie de les découvrir par vous-même.
Ah, Jeannot, je te retrouve à l’heure opportune. A la mort du poète, quelques heures après avoir appris par téléphone le décès de son amie et protégée Edith Piaf, en 1963, tout a été laissé à sa place dans la demeure, jusqu’au moindre pinceau sur la table de travail. Le jeu des héritages a conduit la « collection » à se retrouver entre les mains de Pierre Bergé (encore lui). Sous la houlette de Dominique Païni, professeur à l’Ecole du Louvre et ancien directeur de la Cinémathèque – pour cadrer rapidement le personnage -, tout a été pérennisé. Les meubles, papier peint léopard, etc. ont été reproduits à l’identique, pour faire de cet intérieur un instantané de la vie de son occupant, à l’abri du temps qui s’écoule inlassablement.
Mais la mémoire reste, et notamment grâce à l’exposition permanente qui présente de nombreux dessins, films, interviews, photographies, sculptures, et prend place dans la cuisine, les couloirs, escaliers… Païni merveilleux scénographe nous offre ici, le temps d’une ballade entre les différentes pièces, une visite dans l’univers Cocteau, avec toutes ses ramifications. Je n’écris pas ce dernier mot au hasard, car à l’image du dessin qui accompagne ce texte, et qui représente une plante pharmaceutique (une simple), l’œuvre de Jean C. pourrait se définir par toutes les branches qu’elle a pu développer, par cette incroyable capacité à transmettre et communiquer une pensée à travers tous les médiums disponibles. Tout le monde a en tête ce portrait de l’artiste aux multiples bras, l’un tenant une cigarette, l’autre découpant, un troisième écrivant, etc. et qui illustre parfaitement cette idée d’un artiste aux mille talents.
Et puis, si vous avez le temps et qu’il fait beau, allez vous promener dans son (immense) jardin, composé d’une première partie très française, classique, et d’un second espace plus anglais, sauvage, à défricher. Une forêt en somme.
Plus rien, plus un bruit.
LE CYCLOP
Bond en avant dans le temps, on change de Jean pour rejoindre Tinguely et sa création perdue à la lisière du bois de Milly. La nuit tombe, nous arrivons en retard pour la dernière visite et notre budget, explosé à cause des fabuleuses boulangeries du village, ne nous permet pas de nous acheter une place. Heureusement on a pitié de nous, pauvres Parisiens perdus dans le lointain francilien, venus en stop pour célébrer les morts un dimanche de septembre. On nous dit de rejoindre la guide qui a déjà commencé son speech. On s’approche de La Tête.
Un rendez-vous improvisé sous la lune.
Le Monstre est terrifiant, il s’élève jusqu’au sommet des arbres et représente le visage d’un cyclope fiché dans le sol. Erigé sur une trentaine d’année, c’est un amas de matériaux des plus divers ; il y a même un wagon SNCF contenant des poupées-fantômes, une référence aux camps de déportation nazis. Le Suisse s’est très bien entouré pour la construction, par Niki de Saint Phalle ou César, pour ne citer que les plus célèbres.
On peut le contempler de l’extérieur, mais aussi – et surtout – y pénétrer. La sculpture monumentale renferme un nombre incalculable d’œuvres ludiques, avec lesquelles le visiteur est invité à interagir. L’intérieur est un peu conçu comme une galerie d’art contemporain, avec ses installations, ses mobiles, et même un petit théâtre. Vous dire quelles sont ces œuvres n’aurait aucun sens, puisqu’elles fonctionnent avant tout avec l’effet de surprise. Jean T. voulait à l’origine faire de son Cyclop un jardin d’enfants. La langue du monstre servait de toboggan avant d’être recouverte d’une mosaïque de miroirs par Niki. On peut gravir les marches jusqu’au sommet de la tête, où un bassin rempli d’eau reflète le ciel bleu, hommage à Yves Klein qui n’avait pu participer à l’aventure.
Car il s’agit bien ici d’une aventure : d’abord propriété de l’artiste, et ne bénéficiant d’aucune mesure de protection, l’œuvre était déconstruite chaque jour par des vandales. La dame qui nous a gentiment ramené de Milly à la gare de Maisse nous expliquait qu’enfant, elle pouvait y jouer librement sans restriction. L’idée était belle, mais le projet n’avançait pas. Après plusieurs années, Tinguely en fit don à l’Etat, qui installa des barrières empêchant toute intrusion.
Et Jean, tu as enfin pu terminer ton cyclope, tirant ta révérence, laissant derrière toi ton œuvre la plus belle et la plus inattendue.
FIN
Le trajet retour, la voiture, le train, le métro, la marche. Et l’envie de partager cette expérience hors du temps, de donner envie de voir ce lieu qui a su inspirer plusieurs générations d’artistes, à deux heures de Paris.
Pour moi maintenant c’est fini.
Et je profite du silence.
Vincent Didellot
(+ paroles de ‘La Forêt’ par Lescop)
Ben dis donc, tu as vraiment aimé, quelle jolie prose.
Super article!