Petits et grands à la Petite Galerie
Je crois que la chose la plus étonnante à la Petite Galerie du Louvre, un espace nouvellement créé pour les enfants, c’est le nombre impressionnant… d’adultes. Peut-être est-ce la nouveauté qui les attire, la curiosité pour une médiation ciblée ou tout simplement le sujet de l’exposition, toujours est-il qu’on a le sentiment que ces grands enfants prennent un malin plaisir à s’immerger dans une exposition pour les petits. Bravant ce diktat social inédit, j’ai décidé d’emmener avec moi Lucie, 11 ans, et Zoé, 5 ans, à la rencontre d’Hercule et Dark Vador et c’est à elles que j’ai laissé la parole afin qu’elles nous parlent de l’exposition ; si on a créé un espace destiné à nos cadets, ne sont-ils pas eux les mieux placés pour en parler ? Revue pour petits et grands.
Pour son exposition inaugurale, la Petite Galerie choisit une thématique qui, si elle n’est vraiment originale, adopte une tournure moderne pour un sujet souvent apprécié des enfants : les mythes et la mythologie. La formule fonctionne, comme nous le résume magistralement Lucie : « J’adore la mythologie et comme je ne connais que la mythologie grecque je me suis dit que ça serait cool d’aller voir une exposition qui parle de mythes » . Bingo.
Avec en tête de file Hercule et Dark Vador, le musée choisit un tour général de la question afin d’en explorer toutes les ramifications et, justement, dépasser cette écrasante – bien que superbe – mythologie grecque. Le héros antique côtoie la magicienne Circé alors que plus loin, quelques représentants exotiques de mythes japonais dialoguent avec le côté obscur de la force, et les dieux égyptiens se mêlent aux inventions funestes d’Icare.
Pour parfaire cette mixité, on retrouve aussi tous les supports et toutes les époques : peinture moderne, sculpture antique (« Pourquoi elle n’a plus de bras ? » s’interrogera Zoé devant Aphrodite, remportant ainsi la palme de la question mignonne), céramique, art contemporain etc. Une impressionnante et appréciable étendue du panorama, qui sera parfaitement intégrée par les principaux intéressés.
En effet pour Zoé, la plus belle oeuvre de l’exposition sont « les roses sur le doré avec le rond bleu », comprenez la seule oeuvre d’art contemporain présentée ! Alors que beaucoup d’adultes disent n’y rien comprendre, on est étonné de la sensibilité des enfants. Pour Lucie, c’est le grand écart : « J’en ai deux : la sculpture d’Icare qui tombe dans la mer car c’était super détaillé, et le masque de Dark Vador. » La diversité de l’exposition touche visiblement.
A la fin de l’exposition, un écran présente un certain nombre d’extraits de films. Très bonne idée à mon sens que celle d’intégrer le septième art dans la création artistique, mais la séquence laisse tout de même Lucie un peu perplexe : « les extraits de vidéo étaient là pour montrer des métamorphoses, mais je ne vois pas le rapport avec Hercule. Et si je me souviens bien, je ne connaissais aucun de ces films ! ». Problème générationnel ou volonté de découverte ? On pose la question. Heureusement, c’était sans compter sur la bravoure de Zoé, qui a adoré « la vidéo des métamorphoses, car ça faisait peur et j’aime bien les trucs qui font peur ! » . Je ne peux pas en dire autant.

Exposition Mythes Fondateurs, Petite Galerie, Musée du Louvre. © Photo : Agathe Torres
L’exposition navigue donc entre mythes, anciens et modernes, et toute la création qui en est issue, aussi diverse soit-elle en temps, lieux et formes. Une jolie prouesse pour l’institution qui fait un nouveau pas vers le multi-culturalisme et la pluralité des discours. Le champ du mythe s’ouvre à de nouveaux horizons que celui qu’on lui prête scolairement, et c’est bien là le but d’un musée que d’explorer de nouvelles perspectives, associées à de nouveaux savoirs. Pari réussi ? Posons la question aux jeunes.
Alors les filles, convaincues par cet exposé sur les mythes ? Pour Lucie « l’exposition était très claire » et elle y a appris « plein de petits détails sur les mythes, par exemple la façon dont le foudre de Zeus est représenté » . Juste histoire de pousser le vice, je lui ai demandé si elle pouvait me définir ce que c’était qu’un mythe : « C’est difficile à expliquer ! Selon moi, un mythe, c’est une histoire inventée par les hommes pour expliquer certains phénomènes ; par exemple, les Grecs pensaient que le jour, Hélios, transportait le soleil sur un char et la nuit, Séléné prenait le relais en transportant la lune. » Et voilà, CQFD.
Et côté muséologie ? Quand on leur demande si elles apprécient le fait qu’il y ait des expositions destinées aux enfants, Zoé répond « oui » sans hésitation. La plus grande se charge de nous faire l’argumentaire : « Moi je trouve ça vachement bien car ça permet de mieux expliquer les choses aux enfants. C’est beaucoup plus développé et je trouve aussi, bizarrement, que c’est plus coloré et que ça donne plus envie d’y aller qu’une série d’exposés ennuyeux ! » . Sa palme d’or à elle revient aux « petits trucs avec les questions car ça nous faisait chercher des choses dans l’exposition et j’adore ça. » Là, c’est banco pour la médiation : les « petits trucs » sont des bornes ludiques disposées aux quatre coins des salles et présentant à chaque fois une série de questions ou devinettes amenant notre jeune visiteur à chercher, réfléchir, comprendre, expérimenter… bref, le Saint-Graal de l’interactivité tant recherchée dans les musées.
La question de la fin a été pour Lucie : quand je lui ai demandé ce qu’elle préférait entre collections permanentes et exposition ciblée, elle s’est chargée de faire la conclusion à ma place : « En fait, ça dépend. Je suis déjà allée voir l’expo permanente avec les momies, j’ai adoré ! Pourtant celle de la Petite Galerie était super aussi. Je crois que j’aime autant les deux, et ce que je préfère aller voir, c’est une exposition sur un sujet qui m’intéresse, qu’elle soit permanente ou non. » La vérité sort toujours de la bouche des enfants !

Exposition Mythes Fondateurs, Petite Galerie, Musée du Louvre. © Photo : Agathe Torres
On apprend beaucoup au contact des enfants. Pleins de bon sens, ils se révèlent bien plus ouverts qu’on veut nous le faire croire. Ils ont soif de savoir, d’apprendre, sont prêts à tout recevoir, et ce sans a priori, tant qu’on veut bien se donner la peine de leur accorder notre attention. C’est une leçon que la Petite Galerie a bien comprise : avec une exposition ludique, inventive, ouverte et constructive d’un point de vue intellectuel, on y trouve le juste équilibre entre l’amusement et la connaissance. Une belle réussite de médiation et d’exposition pour un musée qu’on accuse parfois d’être en retard sur la question.
De plus, on notera que le Louvre prend le virage du numérique avec un site de la Petite Galerie très intéressant. Un petit livret de l’exposition également très bien fait est à votre disposition – bien qu’il soit apparemment cousu de fil d’or étant donné la difficulté à s’en emparer. Passé cette épreuve du feu, vous devriez, vous et vos enfants, naviguer avec délectation à travers l’épopée antique et moderne des mythes fondateurs.
Un très grand merci à Lucie et Zoé pour leur honnêteté et enthousiasme !
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Mythes fondateurs : d’Hercule à Dark Vador
Petite Galerie, Musée du Louvre
Du 17 octobre au 4 juillet 2016
Tljs sauf mardi de 9h à 17h30, nocturnes jsq 21h30 les mercredis et vendredis.
Tarif unique pour le musée : 15 euros, gratuit pour les enfants.
J’avoue être assez dubitatif… j’aimerai bien voir ce que donnerait une enquête indépendante avec un large panel sur le ressenti des enfants là dessus.
Entre ceux qui y vont en étant déjà habitués à visiter des expositons (Lucie) et des groupes scolaires plus mélangés (les 2 que j’ai côtoyés durant mon petit tour à l’intérieur) la différence était assez flagrante.
Avec ma vision d’adulte j’ai trouvé le parcours assez peu clair dans ces approches voir parfois un brin mystique avec le coup du « soleil » au milieu. Avec Gilgamesh dans un coin, le choix d’axé surtout thématique et très peu chrono me semble trouver ses limites même s’il a la grande force de permettre des portes d’entrées multiples en fonctions des goûts.
Côté « muséo », les plaques sont bien mais la diagonale c’est plutôt bof pour la lecture et si le côté engagement via l’action est efficace, le bruit lui est ultra agaçant. Un super amorti à rajouter pour des plaques qui vont claquer 10 000 fois par jours ça n’est pas la mort ?
La meilleure idée je trouve dans tout cela, ouvre le fait de rajouter des couleurs (too much à mes yeux d’adultes mais tant pis c’est mieux que rien), consiste à avoir incorporé des plaques pour toucher les matériaux des objets exposés !
Peu convaincu dans l’ensemble mais ça ne va que vers de bonnes choses, à surveiller dans le futur !
Bien sûr, chaque expérience de visite est différente ! Je ne prétends pas du tout faire une étude de publics avec un panel aussi réduit, cela va de soit. Tous les publics sont différents, que ce soit par leur âge, leur niveau d’expertise muséale, ou bien les conditions de visite : une visite en groupe animée par un conférencier du musée est très différente de cette même visite par un professeur ou bien d’une visite en famille. Il ne s’agit pas ici de faire une synthèse mais de prendre un point de vue délibérément différent, et par là même de ne pas mettre en avant ma propre opinion. Avant de discuter avec ces enfants, j’avais moi-même un point de vue plus critique sur l’exposition, en tout cas différent. Mais c’est en discutant justement avec eux que j’ai modifié mon propre avis, car je me suis rendue compte qu’on ne pouvait pas se mettre à la place d’un enfant, il nous est presque impossible de ressentir et penser les choses comme eux ; c’est tout le travail très ardu de la médiation, qui est loin d’être évident ! Comme l’exposition leur est adressée, le but de l’article étant justement de s’effacer face à leur point de vue, leur laisser la parole, sans émettre un jugement d’adulte sur ce qu’ils disent eux, ressentent eux. J’ai voulu tenter quelque chose de différent, même si bien sûr, deux enfants ne peuvent pas représenter un échantillon statistique représentatif. Il m’est apparu que leur point de vue est tout aussi intéressant à questionner et étudier, et il amène notre propre questionnement par rapport à des valeurs qui peuvent être préétablies pour nous adultes. 🙂
Mon commentaire était ambigüe, désolé. C’était davantage la galerie en elle-même que votre démarche (ou alors simplement dans la tendance à en tiré des conclusions même si je la comprends) que je voulais questionner.
Bonne fêtes de fin d’année en tout cas 😉