L’Art des mots
Rien ne me prédestinait vraiment à lire l’Art du Jeu. Comme souvent dans ces cas-là, le titre et la couverture furent décisifs. Une fois mon attention attirée, j’ai lu le résumé et j’ai été un peu déçue : le titre m’avait plus mis sur la voie des jeux d’argents et de la manipulation, mais il n’en est rien. Car l’Art du jeu parle de baseball universitaire. Autrement dit, l’exotisme total pour une franco-française comme moi qui ne connait rien au baseball, et pour qui les fameux college américains sont des fantasmes étudiants très lointains que je n’ai aperçus que dans les films. Toujours est-il que je l’ai acheté. Deux jours et 664 pages plus tard j’émergeai de ce merveilleux livre.
L’Art du jeu m’a attrapée et ne m’a pas lâchée jusqu’à la fin. Penchons nous donc sur les raisons de cette prise d’otage – apparemment généralisée vu son succès outre-Atlantique (« Ce livre a tout de suite trouvé sa place au panthéon des classiques. » dit le New York Times).
Je vous dessine rapidement le pitch : Henry, joueur-né, est sauvé de sa vie future de travailleur à l’usine par Schwartz, un mastodonte (athlète invétéré et fan de Marc Aurèle) qui le repère au cours d’un match, le prend sous son aile et l’emmène jouer dans l’équipe de baseball du Westish College, petite université au bord du lac Michigan. Le reste du roman raconte leurs relations parfois compliquées (bien que racontées de manière simple) et le combat que chacun mène contre lui-même.
Ceci étant dit, sachez qu’ignorer tout du baseball n’est pas vraiment un handicap à la lecture de ce livre. Bien sûr, on comprend moins en détail les tribulations de Mike et d’Henry et la grandeur de quelqu’un comme Aparicio Rodriguez, mais dans l’ensemble, pas de besoin impératif de s’y connaître.
La force première de l’Art du Jeu est selon moi l’attachement de l’auteur à ses personnages qu’il réussit à transmettre au lecteur, notamment pour le héros. Henry Skrimshander nous est tout de suite sympathique parce qu’il ne paye pas de mine. Modeste, doué, c’est un outsider pas cynique pour un sou, malgré la situation financière de sa famille qui ne lui laisse pas le loisir d’avoir des rêves à poursuivre. Pas de larmoiements non plus dans l’Art du jeu (même dans les moments les plus critiques). Henry est dès le départ quelqu’un qui ne s’apitoie que peu sur lui-même. Sa relation avec l’un des autres personnages principaux est le fil conducteur du livre : Mike Schwartz est son mentor, son appui principal. Ce roman, c’est un peu l’histoire du disciple et du maître, l’un ne peut jamais se passer de l’autre. On traite aussi de l’amour qui transcende les âges et les genres, de la relation filiale, du dépassement de soi.
Mais si on lit entre les lignes, c’est surtout un roman sur le doute. Le doute sur ses propres capacités, sportives, mentales, intellectuelles, relationnelles… Les insécurités des personnages nourrissent ce livre. Elles sont décrites en toute simplicité, sans parti pris en faveur des personnages. Quand ceux-ci se plantent, l’auteur n’essaie pas de les défendre, de leur trouver des excuses. Ce livre m’a séduite car il décrit des êtres humains, de façon plausible et sans mensonge aucun. On les aime donc avec toutes leurs tares, peut-être parce qu’elles ressemblent aux nôtres, on ne peut pas se détacher de leurs insécurités car on ne peut pas s’empêcher de se sentir concerné par leurs épreuves.
En résumé, l’Art du Jeu a été ma surprise littéraire de la rentrée : si vous êtes un lecteur qui n’aime pas l’écriture ampoulée au discours affecté, c’est le livre de la situation. Pour finir de vous convaincre de la qualité de ce livre, je vous dirai que la chaîne américaine HBO (instigatrice des excellents Sopranos, Sex & the City, Game of Thrones et autres Six Feet Under) va l’adapter en série. Inutile de vous dire que je suis à l’affut.
Caroline Gomot
L’Art du Jeu, Chad Harbach
Traduit de l’anglais par Dominique Defert
Editions JC Lattès
22€50