Une autre vision de la mode #1 – entre Paris et Tokyo

A partir des années 70, et surtout dans les années 80, deux couturiers japonais se firent un nom sur la scène internationale de la mode en présentant des pièces qui remettaient complètement en cause tous les concepts de la mode occidentale définis depuis longtemps par Paris. Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto ouvrirent un nouveau champ des possibles, chacun à leur manière, lorsque Paris assista à leur premier défilé en 1981.

 

 

Les mannequins de Yamamoto avaient l’air de rescapées d’une explosion, les cheveux hirsutes, le teint blafard, vêtues de vestes asymétriques, à l’aspect déguenillé, de pantalons faits de séries de superpositions, de trous… Et une seule couleur, le noir, «modeste et arrogante à la fois». En effet, le couturier semble avoir été marqué par deux événements qui contribuent à expliquer sa mode.

Comme des Garçons - Dress Meets Body, Body Meets Dress

Comme des Garçons – Dress Meets Body, Body Meets Dress

Lorsqu’à la fin du XVIIe siècle les samouraï perdirent peu à peu leurs fonctions militaires pour se transformer en fonctionnaires, ils renoncèrent au faste de leurs tenues d’autrefois pour des vêtements plus austères, souvent noirs. L’autre événement, tragique cette fois, fut l’explosion des bombes atomiques sur Nagasaki et Hiroshima en 1945.

Rei Kawakubo, qui crée sa propre marque Comme des Garçons en 1969, s’interroge sur le statut des femmes, les conventions du vêtement occidental et l’image d’une personne que renvoie le vêtement. Elle se définit comme une artiste et voudrait que la femme qui porte ses créations se sente forte et indépendante.

Ces deux couturiers sont les précurseurs d’un mouvement de mode appelé déconstructionniste, s’attachant à créer des pièces qui appliquent des principes japonais : la dissymétrie, le goût du passé, l’irrégularité et l’absence ; à des éléments de tradition occidentale. La collection de Kawakubo intitulée Dress Meets Body, Body Meets Dress, est je trouve, très explicite pour tenter d’illustrer cette façon de penser la mode. En effet, si l’on pense aux paniers, crinolines, corsets et autres tournures qu’appliquaient les élégantes sous leurs robes au XVIII et XIXe siècle, on ne peut que saluer la démarche de Kawakubo, qui remet en cause ces principes. La mode occidentale n’a jamais cessé de façonner le corps de la femme pour qu’il s’adapte au vêtement. Ce n’est qu’à partir des années 30, que, sous l’égide de Vionnet, qui reste une référence pour Yamamoto, l’on se met à prendre en compte les formes du corps qui se dévoilent sous les tissus fluides employés à l’époque.

Yohji Yamamoto

Yohji Yamamoto

En permettant à la femme de mettre en avant sa personnalité plutôt que son corps au travers du vêtement, Yohji Yamamoto et Rei Kawakubo traduisent de façon magistrale et radicale les évolutions d’une société qui avait trop souvent tendance à considérer la femme comme inférieure à l’homme et à l’enfermer dans des vêtements contraignant, la consignant à un rôle d’épouse oisive.

Clémentine Marcelli